Il y a plus de saisons, tiens, ma bonne dame...

Pratiquer la pêche à la ligne d'une manière assidue, voire monomaniaque, vous exclue définitivement, que vous le souhaitiez ou non, de la société des adultes. Les adultes, vous le savez peut-être, ce sont ces êtres étranges qui préparent leurs obsèques plusieurs décennies à l'avance, luttent avec acharnement dans leur vie professionnelle, dénonçant, calomniant, poussant au suicide les collègues, afin d'avoir un jour une voiture plus grosse que celle du voisin et qui assurent la main sur le coeur à leur progéniture qu'elle se doit de choisir allemand en première langue car l'Allemagne est un putain de partenaire commercial essentiel. On mesure à cette seule antienne la vacuité de cette espèce alors que leur progéniture n'aime ni Rammstein, ni Goethe, ni le Bayern de Munich et que sa seule concession à la germanophilie mercantile réside dans le port ostensible d'un survêtement à trois bandes.

Et bien les adultes, eux, ils n'ont que deux saisons, comme les Asiatiques qui sont soit inondés soit assoiffés. Les adultes ont la saison du travail et la saison des congés. Tandis que les pêcheurs, eux, ces petits malins, ils en ont une infinité de saisons, toutes liées à des considérations réglementaires et/ou météorologiques. Ainsi, mi-mars, soit au milieu de nulle part pour un adulte soucieux de poser ses congés (il n'y a plus de neige nulle part et partir se baigner à Calais en cette saison quand on est pas afghan, franchement...), une saison commence pour ce grand enfant toujours partant pour crotter ses chausses dans des chemins perdus au bord de rivières moins connues que le ministre de la santé des îles Samoa. Car l'évènement arrive, payant de par sa magnificence ces mois ou pour les moins malheureux, semaines d'abstinence désespérante :  samedi, c'est l'ouverture de la truite !!!

Hélas, grâce à la volonté jamais prise en défaut des adultes qui veulent avoir une voiture plus grosse, des gosses diplômés d'HEC et des obsèques prises en charge sans impair par des professionnels, les rivières à truites, des vraies, il y en a plus des masses. Après un épluchage méticuleux de tous les parcours de toutes les AAPPMA à cent kilomètres à la ronde, j'en suis arrivé à la conclusion implacable qu'elles procèdent toutes à des lâchés de surdensitaires afin que les chevaliers de la gaule des alentours ne soient pas obligés de se battre en duel pour un brocheton miteux, une perchette pustuleuse, voire, humiliation suprême, un chevesne des plus roturiers. Si l'on ajoute à ce pitoyable bilan, la météo des plus arrosées qui s'annonce, j'aime autant vous dire qu'ils peuvent m'attendre, les checkpoints tchetniks avec leur attroupement d'atrabilaires en streetwear militaire, fixant d'un oeil noir la concurrence, avec leurs cannes gisant dans la boue du chemin, flotteurs format drakkar draguant la surface de l'onde, sans oublier le triple n°4 subtilement dissimulé sous une dose de pâte artificielle fluo goût cheddar assez imposante pour envisager une version aquatique de la manoeuvre de Heimlich si par malheur un silure l'ingérait.

Bref, les circonstances semblent encore une fois liguées contre mon besoin de me dérouiller les rotules au grand air. Je ne désespère pas de pouvoir m'octroyer une ou deux sorties truites mais pour le moment, je dois me faire à l'idée que ce week-end (et sans doute les suivants, hélas), c'est très très très mal barré pour secouer du salmonidé transgénique élevé aux granulés fabriqués à base de harengs radioactifs de la Baltique. Je vous rassure, je le vis bien. Sans compter qu'il y a aussi des choses positives à en retirer. Par exemple, je vais garder l'intégralité de mes leurres à truites encore quelques semaines. Par les temps qui courent, toutes les satisfactions sont bonnes.