vendredi 5 mars 2021

Antépathie bullaire (mais presque...)

L'antépathie est un concept forgé de toute pièce, avec une mauvaise foi matoise digne d'un secrétaire d'état ambitieux, par un certain Lucas Fournier qui, à l'instar d'un Francis Cabrel ayant un peu trop forcé sur le Gaillac autour du feu de camp de l'Amicale des Cathares du Tarn-et-Garonne, trouve que tout était mieux avant. Bullaire est un adjectif évoquant avec une pudeur estimable le bruit produit par le passage de l'air crevant les bulles des mucosités de l'appareil respiratoire, ce qui en ces temps pandémiques est un rappel salutaire de l'obligation de respect strict des gestes barrières, bande de petits salopards. Cette association un brin forcée, je vous l'accorde, présente tout de même l'immense avantage de me permettre de vous infliger un nouvel épisode d'alacrité furibonde. Youpi. En effet, le passé n'était pas seulement cet âge d'or où batifolaient dans une félicité indécente Colargol, Casimir et un pétulant Michel Platini encore ignorant des lourds sous-entendus que contient le mot cholestérol. 

Jadis, la valeur d'un produit ou d'un pêcheur se mesurait à
ce qu'il ramenait comme calories à la caverne.

En ces temps révolus, il est vrai que les trains arrivaient à l'heure, que les hommes politiques étaient des vieux messieurs sérieux qui avaient tous fait une ou deux guerres mondiales (sauf Valéry Giscard d'Estaing qui n'était venu que la dernière semaine car il avait piscine et un mot de son papa) et qu'on pouvait fumer, picoler et parler avec une passion prématurée de l'union de la gauche dans les lieux publics. Mais il arrivait parfois que les week-ends de chassés croisés sur les routes tuent plus en trois jours qu'un cartel mexicain en six mois, que les vieux messieurs sérieux aient omis de rapporter à l'appréciation de leurs électeurs quelques broutilles sur leurs liens avec des promoteurs immobiliers en délicatesse avec les plans d'occupation des sols ou même aient très légèrement enjolivés leurs faits de résistance, voire un tantinet amoindri leur zèle administratif passé, celui-là même qui leur avait valu des promotions si rapides dans la police ou l'administration préfectorale durant une période historique pourtant délicate. 
Le paquet de "Tabac de troupe" pour donner l'échelle... Hmmm... Toute une époque.

Remonter le fil du temps par l'entremise souvent poussiéreuse, parfois un peu moisie, des revues de pêche est un exercice surprenant. J'avais le vague souvenir d'avoir, enfant, lu beaucoup d'articles consacrés au saumon atlantique. Je n'avais pas inventé cela. En effet, jusqu'à la fin des années 70, la pêche du saumon était une pêche "porteuse" tant par le nombre de pratiquants que par le poids touristique dont témoignaient les diverses destinations hexagonales où sa pêche était encore possible. D'un autre côté, il existait dans la Pêche & les Poissons une rubrique "pollutions" qui prenait autant de place que celle du courrier des lecteurs dans l'actuelle édition papier. Les courriers émanant d'Aappma ou de particuliers dénonçant les usines ou les agriculteurs peu scrupuleux étaient nombreux et, on s'en doute, devaient assurément provoquer la réaction indignée voire vindicative des administrations compétentes...

Si j'aime à fouiner dans ces vénérables reliques dévoilant une atmosphère disparue, ne m'imaginez pas de prime d'abord comme celui qui serait aux ondulantes vintage artisanales de chef lieu de canton l'équivalent de ce que Stéphane Bern est aux rombières parcheminées arborant des patronymes longs comme des trombones à coulisse et ne se nourrissant que de thé au jasmin dans leur F120 en vallée de Chevreuse. Ma recherche de sources antédiluviennes concernant le taquinage de goujons à travers les âges relève juste de la curiosité, pas d'une psychopathologie dont on frémit rien qu'à l'idée d'en connaître les origines freudiennes. Il n'empêche que cette quête a fait évoluer ma vision de la pêche à la ligne. A dire vrai, plus je me plonge dans la production des plumitifs halieutiques des âges farouches et plus je m'interroge sur la relative vacuité des articles que l'on survole aujourd'hui en quelques minutes, tout spécialement dans les revues spécialisées "pêche aux leurres" dont on soupçonne à raison l'existence uniquement justifiée par le support publicitaire qu'elles constituent.


Dans les revues de jadis, un certain niveau d'exigence se remarquait quant à la qualité littéraire des articles de fond. Certes, il était sans doute lié, au moins jusqu'à l'après seconde guerre mondiale, au niveau d'éducation général de la population. Sans vouloir poser au réactionnaire bon teint attendant en relisant Joseph de Maistre qu'on lui propose une case horaire sur Cnews, il fut un temps où on exigeait plus au certificat d'étude que désormais au baccalauréat. C'est un fait. Lentement mais sûrement, ce niveau a baissé à mesure que les supermarchés et les écrans des téléviseurs s'agrandissaient. Quand on lit aujourd'hui Henri Limouzin, Jo Nivers ou Michel Duborgel, on mesure avec une acuité dérangeante la marche un peu plus haute que la profondeur du Grand Canyon qui sépare leurs articles fourmillant d'anecdotes, de conseils judicieux et jamais avare d'une auto-dérision salvatrice de ceux que nous infligent aujourd'hui certains matamores de la "pêche moderne du futur de demain que c'est l'avenir" au style rédactionnel aussi plat qu'un encéphalogramme de limule morte. La lecture des articles des trois "anciens" cités apportait au pêcheur une chose incroyable : la connaissance d'une technique de pêche, pas celle d'un catalogue de fabriquant.
La pêche est restée de tout temps un plaisir solitaire, paraît-il...

On y revient toujours, ce qu'on apprend dans une revue de pêche, nous en apprend plus sur l'époque où cet article a été publié que sur la pêche en elle-même. En effet, les techniques de pêche sont un éternel retour. Les modes vont et viennent. Moi qui vous parle de bientôt, hélas, son demi-siècle, j'ai grandi au travers des vagues successives de la pêche à l'anglaise, du mort-manié, de la carpe aux techniques dites modernes (c'est à dire piquées aux Américains, Britanniques, Italiens et désormais Japonais...), etc... Je pêche encore avec des leurres dont certains ont plus de 70 ans mais qui prennent tout autant voire plus que la dernière connerie de chez Megabouze coûtant quatre heures de SMIC mais garantie par les Flaubert du Walking the Dog évoqués plus haut comme l'arme absolue quant à la traque urbaine intensive de la perchette éduquée. Bullshit. Ou "Caca de Taureau" en V.F.

Les dénonciations des pollueurs, ce marronnier des années 70, nous paraissent terriblement datées alors que de nos jours, soit disant, il nous suffirait d'une pétition virtuelle sur internet pour éradiquer définitivement tous les problèmes. La rubrique "vos belles prises", édifiant étalage de moustachus à rouflaquettes, mégot collé à la lippe, à la garde-robe évoquant par son raffinement la vitrine d'un Kilo-Shop du Loir et Cher tout en exhibant un poisson à l'oeil vitreux et au corps plus sec qu'un coeur de banquier, si elle existait encore, serait un formidable bureau de recrutement pour ces militantes veganes anorexiques aux piercings exprimant, j'imagine, une solidarité de classe totale pour les brèmes grapinées au plomb-palette, et qui feraient de par leur virulence passer les Jeunesses hitlériennes, les Gardes rouges et le fan-club d'un groupe de K Pop apprenant l'annulation du concert de leurs idoles, pour une association de jeunes Balladuriens communiant après la messe de 11 heures dans l'amour du bridge, de l'équanimité et de la camomille.

Ainsi, le passé n'était pas ce Jardin des Hespérides fantasmé par les Eric Zemmour du Rapala. Il n'y avait pas un poisson qui repartait à l'eau. Tout faisait ventre. Si l'on n'excepte quelques excentriques, des illuminés, qui, moucheurs pour la plupart, relâchaient leurs prises tels d'horribles snobs crachant leur anglophilie au mufle cramoisie de la France profonde. Les pollutions (rien que l'état de la Seine en aval de Paris...) étaient dramatiques et quasiment garanties de bénéficier d'une impunité honteuse. De tout temps, pn le sait, les pêcheurs ont râlé sur les règles, toujours idiotes, l'état des eaux, toujours désertes, et les pollueurs, toujours impunis. On ne peut toutefois pas leur donner tort dans l'absolu. Car demain comme hier, il y aura toujours des combats à mener. A chacun à son humble échelle d'y participer comme il le peut. Rien que ramasser quelques déchets à chaque partie de pêche pour commencer, c'est déjà un geste...


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