lundi 7 décembre 2020

Le déconfinement historique : Paw Paw, une success-story à l'américaine

En ce début de XXème siècle, les Etats-Unis respiraient enfin l'air enivrant de la souveraineté prospère. On avait passé au court-jus l'infortuné Léon Czolgsoz pendant que Thomas Edison filmait ses derniers soubresauts, les bandits repentis de l'Ouest sauvage  racontaient leur ancienne vie trépidante de hors-la-loi au hasard des tournées de cirques miteux, les Indiens avaient été mis sous clé. H.H.Holmes avait été en bonne justice pendu. La machine tournait à plein régime pour transporter jusqu'au bonheur universel consumériste tous ceux qui s'étaient placés sous la protection de la Mère des Exilés.  On était encore loin des tourments du Vosltead Act, des banquiers dégringolant des gratte-ciels et des chevauchées automobiles de Dillinger et consorts. Je ne parle même pas de la Grippe espagnole. D'ailleurs, elle n'a jamais existé. Didier Raoult est formel là dessus. 


Bref, en ces temps bénis, dans le comté de Paw Paw, Michigan, une joyeuse troupe s'était formée autour des dénommés Charles Varney et Horace Ball afin d'aller pendant les loisirs de ses membres taquiner les poiscailles des environs. Hélas, les lois sociales de l'époque réprimaient férocement l'oisiveté. Horace Ball, ci-devant concierge du tribunal du comté, ne connaissait pas les 35 heures qui firent, près d'un siècle plus tard, tant de mal à l'esprit d'entreprise déjà fortement compromis des grenouilles capitulardes. 



Il se mit donc à bricoler discrètement des leurres dans les sous-sol du tribunal pendant ses heures de travail comme un vulgaire syndicaliste parigot. Lui et ses camarades, n'ayant que peu de temps libre en semaine, se mirent à pêcher de nuit après leur journée de labeur. Activité largement autorisée dans ce pays de liberté, il est vrai, tant il n'a jamais eu comme patron un empereur corse de petite taille obnubilé par la contrebande de produits anglais circulant nuitamment par les multiples canaux de son domaine mais ceci est une autre histoire.



En décembre 1908, Horace décida de se lancer dans l'aventure de l'entreprenariat en créant la Moonlight Bait Company (soit compagnie du Leurre du Clair de Lune en clin d'oeil à ses pérégrinations halieutiques nocturnes en réunion). Le premier leurre produit par cette micro-entreprise avant la lettre fut le Moonlight, un leurre de surface flottant et... Phosphorescent. Une innovation ultra-moderne dont le secret de fabrication reste encore un mystère. Fait étonnant : plus d'un siècle après leur invention, les rares exemplaires existant brillent toujours dans le noir !!! Je n'ose imaginer les dégâts sanitaires qu'ont dû causer les produits chimiques contenus dans la peinture originelle.

Ah, ah, ah... Westin n'a rien inventé : Robert la Truite, cru 1911 !!! Bon, pour être honnête, ce leurre
s'avéra un échec commercial et halieutique cuisant. On ne peut pas toujours viser juste.

La suite de l'aventure dura à peu près vingt ans jusqu'à ce qu'à l'orée des années 30, la Moonlight Lures Company se transforme en Paw Paw Baits. Décrire l'étendue de la créativité des débuts mythologiques de ces marques reviendrait à écrire une somme colossale tournant à l'avalanche d'informations indigestes. Citons pour mémoire le Fish Nipple (1911), un leurre qui par bien des aspects externes, évoquera bien des productions actuelles nonobstant son aspect de crotte de chien en plastique sortie d'un magasin de farces & attrapes ouzbek en faillite.


Le Fish Nipple était un simple bout de caoutchouc avec un lest interne et se terminant par quelques bouts de crin. On remarque l'hameçon double disposé en montage anti-herbes qui continue d'être utilisé avec bonheur sur toutes les Frogs dignes de ce nom. Effectivement, si l'on passe outre son aspect extérieur tenant un peu, au risque de lasser mon rare lectorat en me répétant, de l'excrément canin couvert de moisissures luxuriantes, ce leurre devait ravir les pêcheurs de l'époque en leur ouvrant des perspectives nouvelles. Par la suite, alors que les Poilus et les Landser s'étripaient allègrement dans les boueuses tranchées des bords de Meuse, Moonlight Baits continua à satisfaire son aimable clientèle en lui fournissant de quoi poinçonner d'importance la gueule voraces des black-bass du Middle West.


La "nouveauté" de l'année 1916, le Bug était un leurre aux formes originales qui, on en est convaincus, ne devait pas laisser les carnassiers indifférents. Mais revenons, je vous prie, à ce qui était avant mes coupables digressions le coeur du sujet initial, c'est à dire la marque Paw Paw Baits proprement dite sinon je risquerait de me disperser !!! 

Une des productions légendaires de Moonlight Baits. Si vous en avez un dans votre garage, gardez le
silence. Sinon vous allez être soumis à l'ISF dès votre première vantardise sur facebook, malheureux !!!

En 1928, donc, la Moonlight Baits Co se mua en Paw Paw Baits. Le premier succès de la nouvelle entreprise fut le Bullhead, un leurre de subsurface de 11 centimètres de long pour un poids de 21 grammes. Des générations entières de black-bass entre l'élection d'Herbert Hoover et la démission de Richard Nixon finirent en papillotes de par sa faute. Cela donne matière à réflexion, non ?


Comme pour son illustre devancière, faire l'inventaire de toutes les productions de Paw Paw deviendrait vite un job à plein temps si l'on ne prenait l'élémentaire et au final salvatrice précaution de se limiter à quelques modèles sortant un peu du lot. En effet, pour une petite marque locale, Paw Paw était arrivée à se faire connaitre au niveau des USA entiers par l'entremise du bouche à oreille et surtout des catalogues de vente par correspondance qui étaient le Tackle Warehouse de l'époque...


Oui, vous avez bien lu. 50 cents le leurre. Il faut dire qu'à l'époque, comme le chantait Johnny Cash, un hamburger-frites-coca au Dinner's de Main Street vous en coûtait 30. C'était une somme mais le leurre était fabriqué fièrement aux USA en ces temps où les travailleurs américains n'avaient pas besoin de croire aux sornettes d'un désaxé aux cheveux oranges rendant presque Pennywise sympathique pour conserver un semblant d'estime personnelle. Those were the days, Kids. Pendant 40 ans, les leurres Paw Paw connurent le succès. Ce qui, à une époque où Internet, les réseaux sociaux et autres accélérateurs de l'information n'existaient évidemment pas, je me permets d'insister sur ce point éminemment passéiste, était un gage de qualité et d'efficacité des produits proposés. 

Catalogue de Pêche aux leurres modernes datant de... 1943.

Les spécialistes des leurres anciens reconnaîtront avec un petit sourire narquois au coin de leur lippe crevassée par le blizzard quelques troublantes similitudes avec d'autres modèles distribués par Silver Creek, Heddon et tout un tas d'autres marques de matériel de pêche de ces âges farouches. Comme quoi, aliexpress n'a rien inventé, on dirait. Oui, la pêche aux leurres, comme le disait Mick Jagger du rock'n'roll, est décidemment un truc de voleurs...


Hélas, les années 60 avec leur cortèges d'horreurs (manifestations pour les Droits civiques, pacifisme chevelu, arrêt de masse de l'épilation féminine) n'eurent pas comme unique conséquence que de déforester le Viet-Nam. Paw Paw, petite entreprise n'y résista pas et disparut, sans doute victime de la concurrence. Aujourd'hui ses productions font le bonheur des collectionneurs et sans le savoir ont inspiré plus d'un designer encensé par les jeunes générations. Sic transit Gloria mundi mon kiki...




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