Aux temps lointains, Épiménide, un ermite tatoué consommant de la drogue mais n'écoutant pas de musique de zazou vivait en Crête sans être pourtant punk à chien. Ce type qu'on imagine facilement hirsute eût une influence directe sur notre vie quotidienne en sauvant la mise à Solon qui est, vous le savez puisque vous lisez ce blog qui est le rendez-vous des pêcheurs dans le vent, surtout cet après-midi d'ailleurs avec l'avis de tempête sur le nord-ouest, l'inventeur de la démocratie à l'Athénienne. Il serait fastidieux et pour tout dire hors de propos de vous parler de l'archonte Mégaclès que vous risqueriez de confondre avec un leurre japonais au tarif insoutenable dans votre immense candeur. Bref, cet anachorète bourré de psychotropes se laissa aller à émettre un jour de délire un paradoxe qu'on baptisa séance tenante de son blase. Le marginal douteux proféra en fait un truc qu'on résuma plus tard par "Krêtes aeì pseûstai". Ce qui signifie grosso-merdo en grolandais vernaculaire "Tous les Crétois sont des menteurs"...
"'J'aurais jamais dû le laisser ouvrir un compte Twitter" |
Épiménide établissait à cet instant, le petit chenapan, une intolérable impasse logique. Lui-même étant crétois ne pouvant dire la vérité, les Crétois n'étaient donc pas des menteurs. Donc Épiménide disait la vérité en mentant. Merde. On va reprendre la déposition depuis le début, brigadier. Ce casse-tête insoluble alla jusqu'à pousser au suicide Philatos de Cos qui n'était pourtant pas la moitié d'une andouille comme son ancienne maîtresse de CP retrouvée par l'équipe de tournage de "Hold Up" a accepté d'en témoigner. Il faudra patienter 25 putain de siècles pour que l'on démêle un tant soit peu ce que les philosophes antiques gavés de se prendre la tête sur l'affaire avaient fini par appeler "l'Antinomie du Menteur".
Sir Bertrand Russell, à l'aube du XXème siècle, résolut l'embrouille grâce à son cerveau de compétition et son érudition philologique 'achement balaise : en hiérarchisant les ordres de la proposition et en mettant en oeuvre sa connaissance étymologique du grec ancien, il découvrit que le cercle vicieux introduit par la phrase pouvait être brisé simplement en reconnaissant que le fait de mentir n'impliquait pas nécessairement de dire des choses fausses. Je résume à grands traits, bien sûr, et si jamais Sir Bertrand Russell passe par là, il y a peu de chance que je sois invité à jouer au croquet dans son manoir un week-end prochain. Tant mieux, il pleut toujours au Pays de Galles et j'ai autre chose à faire de mon confinement que de boire du thé le petit doigt en l'air en compagnie de vieilles ladies cherchant à savoir qui a tué le colonel Moutarde dans la bibliothèque et surtout (ah les petites coquines) pourquoi le chandelier a été retrouvé par le coroner dans cette partie anatomique si particulière de feu le glorieux militaire...
Vous savez où je veux en venir. Depuis la semaine dernière, un film donné comme "citoyen" provoque une "tempête sur les réseaux sociaux". Financé par un appel de fond sur Internet, ce "documentaire" se donne comme tâche de révéler au monde la "vérité" sur la pandémie. Dont acte. Le problème, c'est que dès les premières images, on est saisi par un curieux sentiment. La forme précède le fond. La réalisation anxiogène est déjà une indication en elle-même du parti pris et du talent des auteurs : honnêtement durant mes longues années d'insomnie, il m'est arrivé de voir des Enquêtes d'Action sur la BRI du Pas de Calais mieux foutues. Le brûlot soit disant révolutionnaire reprend tous les codes de l'info-poubelle en sachant pertinemment que le grand public avalera le propos comme il avale depuis des décennies les conneries que lui déverse en boucle la télévision.
Le choix des invités laisse pantois l'honnête homme : entre le fanatique de Trump qui pense que la bible a été écrite par E.T et la Passionaria d'extrême droite, on en arriverait presque à considérer les chauffeurs de taxi comme les sociologues du quotidien les moins affectés par des biais culturels de classe... Par un fait récurrent dans les manifestations complotistes, plus on démontre à la victime qu'elle a été abusée, plus celle-ci s'enferme dans le déni, allant jusqu'à l'inversion accusatoire la plus absurde. Si vous pointez les incohérences, mensonges, falsifications grossières et choix des intervenants dont l'immense majorité appartient à la communauté des complotistes en ligne, vous êtes vous même abusé par la "propagande de l'état profond-macroniste-maçonnique-judéomachin-etc" et vous êtes de part le fait un "fasciste" se réjouissant qu'une "maladie imaginaire" soit le prétexte à une "dictature". Bien, je vois qu'on avance. Mais il y a encore du boulot... Que le régime actuel glisse vers une banalisation de l'usage disproportionné de la force, c'est une lapalissade. Mais qu'est-ce que ça a voir fondamentalement avec les conséquences sanitaire internationales de l'ingestion d'un tofou de pangolin à la cuisson douteuse en la bonne ville de Wuhan, Sherlock ?
Revenons au paradoxe d'Épiménide, voulez-vous. Si j'affirmais d'aventure que "tous les journalistes des médias "officiels" sont des menteurs", cela voudrait-il dire que les "intervenants des médias dits de ré-information disent toujours la vérité" ? Non, en aucun cas car ces deux propositions sont totalement distinctes. Mieux, on pourrait tout simplement dire que ces deux formes de médias ne donnent que leurs "vérités". Il existe à mon sens une différence (tout de même !!!) entre ces deux écoles : le média "officiel" ou "mainstream" si on a fait un peu d'anglais au lycée présente souvent des faits vérifiés ou pour le moins vérifiables avec un peu d'effort MAIS ne se prive pas de les présenter selon une certaine façon. On est plus dans la manipulation adroite que dans le mensonge même si à première vue, on s'en rapproche singulièrement. Le traitement préférentiel donné depuis des lustres aux vacances aux sports d'hiver dans une société dans laquelle moins de 10% de la population y a accès régulièrement pose déjà des questions sur l'orientation de l'information sans que l'on puisse rationnellement y voir un "complot". Au contraire, dans les médias "alternatifs", on passe au cran au dessus car la vérité devient elle-même "alternative". Les millions d'Américains pro-Trump défilant en armes et dans un monde parallèle convaincus que leur champion est réélu en sont l'exemple le plus patent et le plus actuel. "Hold Up" s'inscrit en lettres de feu dans cette lignée. Le contenu en est pourtant réfutable : aucun contrepoint argumentaire, aucune vérification même partielle des assertions assénées (le virus "inventé" par l'Institut Pasteur, la CIA qui met sur Internet son "projet de pandémie"... On rêve) quand elles ne sont pas de pures inventions piochées dans l'oeuvre de complotistes relevant plus de la psychiatrie que du tribunal de commerce, sans compter la ronde des intervenants tous plus barges les uns que les autres, le tout s'appuyant sur UNE vérité : la gestion cataclysmique de la pandémie par nos charlots nationaux.
200 000 ans d'Homo sapiens pour finir par la prime aux primates... |
Un minimum de sens critique devrait faire dégonfler le phénomène en quelques heures. Que des journaux aussi fondamentalement opposés dans leur ligne éditoriale que l'Obs et Marianne en arrivent à interpréter puis démonter le film dans quasiment les mêmes termes constitue à mon sens un signal fort. Hélas, il n'en est rien et la charge de ce "docudrama de deuxième zone" est au final dévastatrice. En effet, son efficacité principale ne vient ni de ses pseudos révélations ni de ses faux-témoins tous plus pathétiques (les tarés comme les manipulés, je veux dire). Sa malignité vient qu'on nous vend depuis 3 ans un président sauveur de la Nation élu pour préserver la population de la Peste brune... Depuis 3 ans, on a eu le temps de voir l'ampleur de l'escroquerie. Une partie sans cesse plus grande de la population craint pour ses revenus, ses enfants, son avenir. Des gens aussi différents sociologiquement que possible se regroupent dans la défense acharnée et aveugle de "Hold Up". Je ne veux pas faire mon Petit Marxiste illustré dans le supplément gratuit du dimanche mais cet agrégat inédit de peurs et de colères diverses ressemble à s'y méprendre à l'auberge espagnole du primo-fascisme. Merci Macron. C'était vraiment une blague à la con.
Si je peux me permettre avec ce léger contretemps...
RépondreSupprimerEn considérant la proposition A: "tous les Crétois sont des menteurs", la proposition non A n'est pas: "tous les Crétois disent la vérité" mais: "il existe au moins un Crétois qui dit la vérité"...Mais ce n'est pas Épiménide, il ment et alors il n'y a aucune embrouille, poil aux bredouilles.
Même constat pour "tous les Crétois disent des choses fausses". Amitiés à Bertrand Russell.