vendredi 1 mai 2020

Notre Fin du Monde Discount

Quand j'étais encore un  frêle éphèbe insolent écumant les cours de récré l'anathème aux lèvres, le sébum à la tignasse et l'acné aux joues, il m'arrivait régulièrement d'être l'objet de menues sanctions disciplinaires dont la plus courante consistait en l'accumulation d'heures de retenues que je passais dissimulé au cœur du CDI du collège minable où je gâchais mes jeunes années en y usant mes fonds de culottes courtes. C'est là, au beau milieu de ces austères mais souvent généreux compagnons que sont les livres, que j'eus la joie, en un morne après-midi de pluie automnale ininterrompue, de découvrir la collection complète des recueils de revues américaines des temps héroïques comme "Weird Tales" ou "Amazing Stories". Cette épiphanie littéraire changea définitivement ma vie qui était, avouons-le,  jusqu'à alors des plus étriquée. 

Plongeant avec la délectation qu'on imagine dans ces histoires pleines de monstres mutants hideux faisant presque paraître agréable à l'oeil le physique d'un professeur de mathématiques, de traitres gluants annonçant prophétiquement le sinistre avènement des Gérald Darmanin de tous les pays mais aussi d'inénarrables héroïnes aux faux-airs d'hétaires diaphanes, créatures dénudées lascives au delà du tolérable et d'un point de vue strictement mammaire excessivement compétitives ainsi que, corollaire obligatoire, de héros musclés, déterminés à buter séance tenante en une explosion de violence sadique les horribles profs de maths bardés de tentacules sans oublier les félons dégoulinants (héros partant d'ailleurs, c'est cocasse, généralement avec la diaphane sous le bras à la fin du bouquin), je découvrais à chaque page un univers nouveau pour le pauvre chérubin que j'étais et qui me changeait avec bonheur des Antigone psychorigide, Yseult larmoyante ou Emma Bovary valétudinaire qu'une camarilla d'enseignants gauchistes s'obstinait à nous présenter sous un jour favorable...


Puni par le bras séculier du surveillant d'externat aux yeux rouges et aux cheveux gras ayant assez peu goûté mon trait d'humour le dépeignant comme un onaniste chevelu tenté par le vote communiste, j'avais détourné le joug de la loi scolaire pour en faire un atelier-découverte de la littérature capitaliste décadente. Petit Bernard Madoff du carnet de correspondance aux signatures contrefaites, je sentais s'ouvrir devant moi une riche carrière de malandrin, d'escroc voire, en cas d'exposition prolongée à l'environnement scolaire, d'étudiant diplômé en sciences politiques.






Evidemment, le contenu de mes rédactions en fut influencé de manière visible. Ce qui me valut moult autres après-midi à consacrer aux divagations d'August Derleth, H.P Lovecraft ou Robert Howard en ruminant de fumeux plans de vengeance contre la répression scolaire, cette hydre fasciste renaissant à chaque rentrée, le plus souvent incarnée par un-e sbire obscur-e à collier de barbe ou mollets poilus réglementaire(s), vraie machine normative prenant un plaisir non dissimulé à brimer la créativité d'un génie en herbe pas encore mise en jachère par le bouillonnement hormonal.



Au hasard de ces opuscules, il arrivait que je tombe sur des récits apocalyptiques. La vache. La turbine à fantasmes puissance 1000 quand on a 14 ans, un manque absolu de confiance en soi et un appareil dentaire dissuasif. Se retrouver seul survivant de la terre (avec tout de même une ou deux des plus belles filles de 4ème B...), tout un programme… Mais en y réfléchissant un peu plus avant, après l'impitoyable fléau du microbe, de l'envahisseur extra-terrestre ou pire le maintien de l'inquisition socialo-fiscale nécessaire à nourrir des millions de fonctionnaires feignants qui allait décimer l'humanité, aurais-je encore le courage de maintenir une relation amoureuse fidèle basée sur la tendresse, la sincérité et une compréhension mutuelle avec Audrey et/ou Cindy ? Bigre, quelle situation compliquée… Voila bien de quoi devenir plus parano qu'une fraise Tagada à un goûter d'anniversaire.


Plus sérieusement, pour le branleur des Eighties que j'étais alors, des signes avant-coureurs de l'inévitable Armageddon rodaient à l'arrière-plan. La pandémie du SIDA, la catastrophe de Bhopal, les noires récurrentes de la guerre Iran-Irak, la candidature surprise de Raymond Barre à la présidentielle, voire le nuage de Tchernobyl miraculeusement stoppé par le micro-climat de la région rhénane, c'était pas de la brève à évacuer sans soucis. Sans oublier qu'à quelques centaines de kilomètres stationnaient des milliers de blindés soviétiques qu'on soupçonnait fortement d'avoir vaguement l'intention de venir camper dans le Morbihan au plus fallacieux des prétextes. Autant dire que cette ambiance légèrement alarmiste faisait écho à mes lectures studieuses...


Mentalement, je m'y préparais. J'avais vu tous les Mad Max, j'étais capable avec un BIC sarbacane home-made de loger à dix mètres en cours de maths une boulette de papier bien baveuse dans l'oreille du premier de la classe. Je savais vider une truite et même, parfois, en pêcher une. J'étais fin prêt pour la survie. Hélas, Saddam Hussein ne vint pas piétiner nos plates-bandes, Raymond Barre se ramassa en beauté et les hordes soviétiques n'étaient que des grandes gueules plus assoiffées de vodka frelatée que du sang des porcs bourgeois et, c'est triste à dire, à peine capables de trouver la marche arrière sur leurs chars rouillés… Mes peurs étaient des mirages. Le monde était beau. L'histoire était finie. Et on allait tous se faire un pognon de dingue.



Et en fait, non. Les pollueurs ont continué de polluer, les dictateurs à dictater et les écoles de commerces refusaient des vagues d'assaut d'arrivistes enthousiastes  en les repoussant parfois à coups de fourches. En plaqué or, c'était plus sûr, des fois que ces futures élites chopent le tétanos et meurent dans d'atroces souffrances, en souillant de glaires ensanglantées leur polo Lacoste, et ce avant même d'avoir pu ratiboiser les pièces jaunes des blaireaux de base. Bien évidemment, on bascula dans un monde où devenir fonctionnaire volontairement était plus infamant que d'être exhibitionniste, fétichiste ou philatéliste, un monde qui considérait que l'assistanat social rimait avec cancer (Laurent W. si tu nous lis…) et dans lequel on avait persuadé le pauvre, le bancal, le décati, bref celui qui n'avait pas sa Rolex, que tout était de sa faute et qu'il n'avait plus qu'à fermer sa gueule en s'empiffrant de chips LIDL et de cacahuètes transgéniques devant sa télé à la résolution merdique.



Résultat des courses, malgré au moins deux décennies de prophéties catastrophistes, nos joyeux trublions disruptifs botteurs de culs de réfractaires archaïques en série voyaient tous les voyants au vert et s'accordaient entre gens bien nés pour exploiter jusqu'à la dernière giclette de gaz de schiste en sirotant du spritz. Redouter la fin du monde, c'était vraiment un truc de loser qui dénotait une horrible absence de vision globale. Et puis là, la boulette… Un virus qui s'échappe d'un labo à cause du Gaston Lagaffe chinois (ou pas), qui prend son envol d'un ragoût de pangolin à la cuisson douteuse (ou pas) ou qui a été lâché dans la nature par les méchants communistes chinois qui l'ont fait exprès (alors là, même après un gros pétard, franchement…), c'est con comme truc. C'est moins soudain qu'une météorite nous frappant au coin du nez ou qu'une invasion inexplicable de zombies (quoique certains jours, dans les rayons du Auchan, on pourrait se méprendre…) mais ça perturbe quand même un tantinet le moral des ménages.


C'est quand même vraiment con que ça prenne tous les pays riches par surprise quand on y réfléchit. "Une pandémie inattendue"... Merde, si inattendue que ça fait bientôt six mois que vous nous serinez que c'est rien, pas grand chose, que ça va pas arriver ici, qu'on est des gens sérieux, pas des Chinois, ces quasi-barbares à peine sortis de leur ignorance congénitale des grands enjeux sanitaires, ces types primaires tout juste capables de nous submerger de biens manufacturés à mon marché. Les bons vieux clichés soooo XIXème siècle ont la vie dure… Même si "l'humour" garde aussi ses droits malgré le drame… Le mot d'esprit à la Française n'est pas mort !!!






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