vendredi 27 juin 2025

Tardigradisme baroque

En ce début de fin du monde calorifique, j'étais résolu à la sobriété énergétique, au repos tactique, bref à me la jouer petits bras, fonctionnaire cacochyme à manchons & fixe-chaussettes. Ainsi, à l'issue d'une journée particulièrement caniculaire, j'ai renoncé à mon désormais quasiment coutumier pinsage sudoripare vespéral pour entamer une bonne nuit précoce espérée  réparatrice. Sauf que vers 22 heures, un "BOUM" précédé d'un long cri déchirant de freins à l'agonie me réveille au bout de quelques minutes d'inconscience. "Boum ?"se dit le cinéphile averti qui sommeille dans mon corps d'athlète ! Serait-ce enfin Sophie Marceau, amenée à résipiscence par quatre décennies de harcèlement épistolaire, qui frapperait vigoureusement à l'huis pour enfin vivre des torrents de passion collée à mon torse velu de gorillon érotomane ? Ah ben non merde... C'est juste Michel, le fils caché de Raymond Bidochon et de Rémy Julienne, qui vient d'atomiser ma bagnole garée à quelques pas. Michel, 67 ans, 1 gramme 5 et quelques, 100 kilomètres-heure dans une zone limitée à 30, est en train d'essayer de se casser en toute discrétion mais sa louable tentative d'échapper aux tracasseries administratives qui suivent ce genre d'évènements est vouée à l'échec : un de ses pneus a pris son indépendance et gît à quelques mètres, sans compter que sa colonne de direction doit ressembler à un tire-bouchon. Ce qui ne doit pas manquer de l'émouvoir, lui, l'homme du terroir, féru de ces valeurs sûres qui ont fait la France ainsi que la fortune des ferrailleurs.


Michel, homme de ressources, s'empresse aussitôt de me préciser qu'il ne tentait pas de prendre la fuite mais que tout simplement, par civisme, il tenait en tout bien tout honneur à bouger sa voiture afin "d'éviter un accident". Les gens sont si peu attentifs au volant, m'voyez... Je n'ai pas même eu le temps de m'incliner devant tant de noblesse d'âme que le bougre m'assénait qu'il ne fallait surtout pas déranger les gendarmes pour cette broutille car lui, son gendre, gendarme, il l'était, donc "on pouvait s'arranger". Cette présence d'esprit, cette solidité mentale dans l'épreuve, ce choix audacieux des circuits courts nous évitant la pesanteur judiciaire, je vous l'avoue, ne sont pas loin à cet instant de me convaincre. Hélas, par précipitation sans doute, j'avais déjà mandée la maréchaussée. Là, Michel s'estimant à juste titre trahi, mettra assez de mauvaise volonté à se soumettre à un test d'alcoolémie pour que tout ça nous porte, dépanneuse comprise, aux alentours de deux heures du matin. Le bonheur total, évidemment, vu que je me levais à six...



Bref, après deux jours consacrés à mettre enfin au point un rendez-vous avec mon champion visiblement débordé pour l'indispensable constat "amiable", j'ai dû finir par remiser l'approche diplomatique et hausser le ton afin de vertement inviter Michel à venir signer les papiers à la gendarmerie. Option payante car au bout de négociations assez crispantes, j'ai fini par obtenir le papier indispensable aux démarches pour que je me fasse indemniser (tout est relatif quand on connait les prix actuels des voitures d'occasion). Inutile de préciser que Michel (ne cédant en rien à sa digne épouse) possède des capacités hors-normes pour proposer des réalités alternatives. Netflix devrait se positionner dessus. Entre les barrières de chantier qui lui sautent dessus sans prévenir pour lui faire peur, le trottoir qui, comme ça, sans raison particulière, traverse sans regarder ou le chauffard en pleins phares à contre-sens (qu'aucun témoin n'a aperçu, fatalitas) qui le pousse à un virage express se terminant dans ma bagnole, il a de l'imagination à revendre, l'animal. Le problème, c'est qu'on aboutit inéluctablement, une fois la poussière retombée, à un taux d'alcoolémie fort honorable, un excès de vitesse conséquent et deux véhicules à la casse, le tout certifié par les gendarmes appelés sur les lieux, mon pauvre Michel.


Résultat de la fantasia des enjoliveurs, je n'ai plus de voiture avant au moins un certain temps, ce qui me condamne à aller pêcher en bas de chez moi, où, déjà, il n'y a plus d'eau, alors qu'on est en pleine canicule, ce qui fait que je vais risquer la crise cardiaque pour la prise de la moindre perchette. Il y a certainement des façons moins déprimantes d'entamer ce que les Anciens appelaient la Belle Saison et ce que nous sommes en train d'appréhender comme une implacable épreuve de survie avant d'avoir à affronter les tempêtes automnales et leurs pluies diluviennes. Bienvenue dans la dystopie dont nous sommes les héros...
 

 

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