lundi 23 janvier 2023

Dans l'abîme du temps...

Les évènements que je m'apprête à rapporter prennent leur origine dans les locaux vétustes mais non dénués d'une certaine noblesse surannée de l'université de Vodkatonic. Avant toute chose, je tiens à préciser que les faits et gestes du professeur Nathaniel Wingate Gunkiki, spécialiste reconnu du pitching-in-the-cover, pour étranges qu'ils aient pu paraître à ses contemporains entre 2008 et 2013, n'allaient pas au delà, si on les observait superficiellement, d'une excentricité typique des vieilles familles de Nouvelle-Ligérie. L'affaire commença lorsque le professeur Gunki, tout de lycra vêtu comme il sied à un homme de goût commettant de nombreuses vidéos didactiques sur les réseaux sociaux, s'appliquait à pitcher un rubber-jig tout poilu dans un bassin de démonstration du Salon des Pêches de Sarkham afin d'édifier les populations locales qui erraient jusque là dans les ténèbres de la cuillère tournante lestée en tête. Soudainement, il sembla perdre tout intérêt pour la vulgarisation, ardue s'il en est, de cette discipline exigeante issue des recherches les plus avant-gardistes de la pêche moderne du futur de demain et descendit gaillardement de son escabeau pour disparaître dans la foule de vieux mâles rougeauds attirés en meute avinée par les ploufs (non, non, il n'y a pas de faute de frappe). Ses amis (enfin ses relations, il était sponsorisé donc les amis, hmmm...) ne s'alarmèrent pas outre mesure. Après tout, le cadre était festif, le muscadet coulait à flot et on était entre gentlemen. Ce n'est qu'au bout de plusieurs heures que l'on s'inquiéta de l'absence du distingué scientifique. "Mais il est barré où ce con là ?" gueulait Jeannot la Brocante, propriétaire enjoué du plus gros magasin de matériel de pêche du comté. Nul ne le savait lorsque, au crépuscule, un employé affirma avoir vu le professeur Gunkiki en grande conversation avec un pêcheur au coup installé non loin de là à la sortie des égouts de la Vérolière, hot-spot ligérien bien connu.


 

"Bordel de queue de vérole de chiotte" s'emporta Jeannot avec toute la verve poétique que lui insufflait l'abus de Beaujolais de basse extraction. "Va pouvoir se gratter pour son artiche, ce rabouin !!! Je vends du leurre plaqué or, moi, pas des asticots moisis dans de l'amorce miteuse pour des ratichons économiquement faibles !!!" poursuivit-il tout en bavant quelques gouttes de vinasses sur son sweat-shirt Megabooz à 89 euros TTC car une émotion légitime d'employeur bafoué secouait cet homme si bon au fond, tout au fond, près du râtelier des fusils à pompe. Passé ce bref mouvement d'humeur bien compréhensible (le salarié se croit tout permis depuis mai 1981, ma pauvre dame), tout le monde finit par en convenir : le professeur Gunkiki n'était plus le même. Alors qu'avant ce triste épisode, le simple fait de parler de pêche en spinning devant lui pouvait le pousser à des crises de démence à côté desquelles les pires dérapages comportementaux d'Adolf coincé dans son bunker au printemps 1945 ressemblaient à un épisode de l'âne Trotro, il ne semblait désormais éprouver d'intérêt que pour les flotteurs Desqué, les recettes ancestrales de la maison Dudule ou les moeurs du hotu. L'horreur semblait avoir pris corps. Le professeur Gunkiki, le Platini du Skipping, ne rêvait plus que de panier-siège, d'aguichage et de bourriches de brèmes. 

Ce n'est qu'au bout de cinq longues années d'amorçage méticuleux, de ferrages au poil et de vociférations vaines contre la pullulation des poissons-chats que, soudainement, Gunkiki redevînt lui-même. Alors qu'il travaillait à l'élastique un carpeau plutôt velu piqué dans une bassine d'eau pluviale à la surface mouchetée de cyanobactéries d'un vert fluorescent du plus bel effet, sise entre la zone industrielle Bernard Madoff et l'autoroute, il parut, d'après les témoins, Jojo la Frite et Dédé la Descente, tenanciers du food-truck d'à côté, "se réveiller d'un long intermède onirique durant lequel il aurait été comme qui dirait possédé par une entité malfaisante qui était déjà vieille alors que la terre était jeune, hein pas vrai, mon Jojo ?" comme il est noté sur le rapport du Shériff de Montaigu. Gunkiki affirma plus tard qu'il ne se souvenait de rien, ou de pas grand chose, sinon qu'il avait erré, aussi hébété et impuissant que Benjamin Castaldi dans une librairie universitaire, traversant comme en rêve des villes antiques à l'architecture cyclopénne entrecoupées de canaux regorgeant de brèmes garantissant des bourriches de malades. C'est là, après accord avec le District Attorney de Miami-sur-Sanguèze, qu'on lui mit le marché clé en main : soit il arrêtait ses conneries et renfilait sa tunique lycra pour retourner faire l'article aux bouseux, histoire de leur vendre du aliexpress au prix du caviar, soit on le chargeait pour mythomanie au premier degré et devant un juré de douze honnêtes hommes blancs, il allait en prendre pour 99 ans de cailloux à casser, la cheville enchaînée, au pénitencier de Donaldville. Il y avait effectivement de quoi y songer à deux fois et c'est pour ça que vous avez dû croiser le professeur Gunkiki, libéré, délivré, quasiment à jeun, provoquant l'admiration des masses avec son kit-main libre et son combo XXFast, le tout en équilibre précaire au dessus d'un bassin à Clermont.



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