dimanche 25 décembre 2022

Bars de nuit (et tout ce qui s'en suit...)

Parcourir au volant les étendues désolées de la Ligérie inférieure du haut, sous un ciel plombé, alors que le canal de Nantes à Brest déborde gaillardement sur les champs rivulaires, tout en écoutant sur la play-list "Spleen & Tranxène : deux le matin" ce vieux barde en col roulé laineux tout plucheux d'Ewan McColl, sentant bon le feu de tourbe, le single malt et le tabac à pipe froid, se lamenter sur les déboires judiciaires du pauvre Tim Evans n'est pas une occupation pour quiconque se targue de posséder un mental d'acier, des muscles d'airain et une volonté de puissance résolue pour vaincre le sort à toutes les extrémités les moins avouables en société, voire à tenter le casting des Marseillais à Rio habillé comme Borat. C'est dans ces moments d'extrême solitude, lorsque le sort s'acharne, que la pluie redouble et que l'on sent surtout qu'on ne pourra pas s'arrêter cinq minutes dropshoter dans le port de Redon que monte en nous ce sentiment de nostalgie poignante. Le souvenir des jours pas si lointains se rallume dans notre petit coeur meurtri et l'on se repasse le film de nos exploits à jamais perdus dans les limbes du passé.

Pendant une période donnée, il est vrai, nous avions formé une association informelle de forbans furibards qui, de temps à autres, s'en allait à la nyctalope titiller les poissons de mer en milieu portuaire, authentiques ninjas-fishers drapés des ténèbres sanctifiées par Hécate afin d'échapper à la vigilance embrumée des cerbères locaux. En effet, la pêche dans ces havres réservés au mouillage de bateaux hors de portée des rêves les plus fous des plus économes des smicards était généralement interdite ou pour le moins franchement limitée à des coins effroyablement réduits et de par le fait incapables de satisfaire notre irrépressible besoin d'espaces libres nécessaires à la plénitude de notre maniement saccadé du shad noctambule de petite taille. Mais nous n'en n'avions cure, enthousiastes comme pas deux et prêts dans l'adversité à hurler à la lune "Libertééééééééééé !!!" tel Mel Gibson dans Brave Heart secouant son brushing Franck Provost au nez et à la barbichette de ses bourreaux anglais occupés à le désosser en bonne justice pour présentation du port du kilt sous un jour favorable.

 
Le plus souvent, j'embarquais pour ce genre de virée une canne M ou ML, une Berkley AMP de prolétaire à dire vrai, avec un moulinet 2500 monté en nylon car refaire un noeud de raccord tresse-fluoro en pleine nuit avec les mains mouillées et un peu de vent, j'aime autant vous dire que ça me les aurait vite gonflées menues...On ne rencontrait pas toujours le succès, on ne prenait pas loin s'en faut des monstres à chaque lancer comme n'importe quel matador sponsorisé mais les soirs où ça voulait bien donner, on maudissait injustement le malchanceux qui faisait la première remarque sur l'horloge tout en évoquant prudemment le fait qu'il embauchait à 8 heures du matin. Oui, c'était le bon temps des One Up sur tête plombée "maison", des leurres barbouillés ignoblement à l'huile de sardine concentrée.
 

 Mais tout ça, c'était avant. Avant que la vie, cette chienne borgne syphilitique, ne sépare les bon gars de l'ivresse (ou l'hiver de la bougresse ? J'avoue que j'ai un doute), que l'âge nous offre tous les prétextes au renoncement halieutico-portuaire nocturne, "ah oui, mais moi, conduire, de nuit, avec mes lunettes...", que certains, pas les plus affutés du neurone, me suis-je laissé dire, aillent se perdre dans des régions imbéciles puisque continentales, bref... Il va être temps de revenir à ces valeurs sûres. Quand, je l'ignore mais je ne pense pas trahir ma pensée profonde en souhaitant que ça soit tôt !!!




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