samedi 23 janvier 2021

Un peu d'histoire...

Il est une idée reçue qui consiste de nos jours à penser que l'irruption des problématiques environnementales dans le débat public date des années 70, imposée par le lobbying exalté du monôme de chevelus joueurs de ukulélé nudistes éleveurs de chèvres dans le civil dont accoucha Mai 68. Or rien n'est plus faux. A part les programmes électoraux bien sûr. En effet, pour des raisons bassement liées à l'assouvissement de leur vice honteux, ce furent les pêcheurs à la ligne qui s'élevèrent les premiers contre les pollueurs. Ils ne furent pas les seuls mais on peut sans risque affirmer qu'ils comptèrent parmi les précurseurs.


L'époque dite belle s'y prêtait merveilleusement car comme l'écrivait alors un journaliste, "si les animaux pouvaient savoir à combien de Sociétés, de Ligues et d’Associations le souci de leur reproduction a donné naissance, parmi les hommes, ils nous considéreraient certainement comme leurs meilleurs amis. Toutes les chaînes des êtres y passent : de l’écrevisse à l’éléphant, de la grive au rhinocéros". En ce qui concerne la pêche à la ligne, un petit résumé de ce qu'elle était "avant" s'impose. La prise de conscience de la protection de la ressource intervient dès 1669 quand Colbert, grand ministre de Louis XIV, codifie, rassemble, compile les textes existants et hérités le plus souvent du droit coutumier. Il s'institue grand organisateur de la Police des Eaux & Forêts en dressant une liste d'engins prohibés pour la pêche et en définissant des périodes de protection des poissons. Dès Colbert, on doit avoir l'autorisation du propriétaire pour pêcher les eaux navigables ou non navigables. Un siècle plus tard, on considère toujours les eaux douces comme une ressource économique à exploiter pour ses potentialités alimentaires. La Révolution va chambouler tout ça en accordant le droit de pêche aux citoyens, engendrant un effet dévastateur : l'impression que les eaux sont désormais vides de poissons vu que n'importe quel pousse-mégot ruiné par la crise des assignats peut venir y prélever sa friture.

Toute une littérature catastrophiste, pendant halieutique du malthusianisme si en vogue à l'époque, va en faire un lieu commun appelé à perdurer jusqu'à aujourd'hui. Or une autre révolution se dessine en coulisse : venues d'Angleterre comme la mini-jupe, les chanteurs pop à coiffure de zazou et le variant tueur, les Sociétés sportives de Pêche s'implantèrent petit à petit en France. Ces sociétés de pêche regroupent au début une certaine "élite" s'opposant sociologiquement aux pêcheurs "traditionnels" dont la pratique relève de l'alimentaire et non pas du "beau geste" en chapeau à plume (comme va très vite le brocarder le grand public). Le 15 avril 1829, l’article 5 d’une grande loi sur la pêche fluviale stipule qu’il est « permis de pêcher à la ligne flottante tenue à la main dans les fleuves, rivières et canaux navigables » . Très vite, on va donc voir apparaitre des conflits d’intérêt entre pêcheurs professionnels qui posent des filets, des nasses, des cordeaux et les pêcheurs « loisirs ».


Dans la première moitié du XIXe siècle, toutes les classes de la société pêchent mais pas de la même manière. La pêche à la ligne en tant que loisir est d’abord le fait des élites. À partir des années 1820-1830, la France commence à produire quelques traités de pêche dans lesquels il est question des mœurs des poissons et de la meilleure façon de les attraper. Mais ces écrits circulent à l’intérieur de cercles restreints. Il y a deux pêches en France. En premier lieu, celle qui compte le plus d'adeptes est celle des "gens de peu", enchaînés à leur terroir, à leur patois, posant des filets à lamproie, des bosselles à anguilles et pêchant saumon, carpe et truite à la "mouche du jardinier", notre bon vieux lombric, quand ils ne poussent pas le curseur du populacier répulsif en taquinant le chevesne à la tripe de poulet, ces Hébertistes ruraux !!! En second lieu, une pêche des élites, reproduisant l'anglophilie estampillée louis-philliparde au bord des rivières, une pêche de "caste" impliquant matériel hors de prix pour le prolo, vocable abscons pour le rural et générant des besoins nouveaux, notamment une impérieuse nécessité d'avoir du poisson à prendre pour justifier l'investissement somptuaire initial. Il est assez cocasse de constater que certaines pratiques actuelles comme le vedettariat préfabriqué, le sponsoring plus ou moins avisé ou encore les grotesques mises en scène youtubesques de certains jocrisses hauts en couleurs, en mettant en avant une soit-disant "pêche d'en haut" semblent vouloir à tout crin ressusciter cet "Apartheid" sociologique.


Le début du XIXème, il est vrai, pouvait se prêter à des interrogations légitimes sur la pérennité de la ressource : la révolution industrielle était en marche et rien ne semblait l'arrêter. Fonderies, manufactures et surtout tanneries s'installent alors au bord des fleuves et des rivières, engendrant des pollutions flagrantes dans une indifférence générale étant données les conditions de vie quotidiennes d'un néo-prolétariat arraché des campagnes pour venir rassasier l'insatiable Baal-Moloch. Il faudra attendre près d'un siècle et demi pour que l'état se soucie de la pollution. Les rivières se dépeuplent, c'est alors le discours dominant. En 1842, deux pêcheurs vosgiens illettrés certes mais non considérés à ce jour comme suspects dans l'affaire du Petit Grégory, Rémy et Géhin (ré)inventent une méthode pour repeupler les rivières : la fécondation artificielle. Celle-ci avait été inventée par un savant allemand, Etienne Louis Jacobi dès 1763 mais sa méthode était tombée dans l'oubli. De là débute un autre âge pour la pêche.

Désormais l'Homme a les moyens de (re)créer à volonté une "nature sauvage" dans laquelle il peut exercer son droit de prédation sans autres limites que celles imposées par le législateur. Plutôt que de traiter les causes, il a donc décidé de soigner les conséquences de la raréfaction du poisson. Quelques décennies plus tard, cette logique consumériste amènera les instances halieutiques à déverser des poissons-chats afin de repeupler les eaux trop polluées pour accueillir de nouveau les exigeantes espèce autochtones décimées par le "Progrès". Quant à nos rivières de plaine dites "de première catégorie", elles sont régies aujourd'hui par la même logique vu que les causes de la raréfaction voire de la disparition des salmonidés ne sont pas à même d'être soignées.












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