"Parfois, aimer le foot est une sacrée paire de manches. A tel point
qu’il arrive qu’on n’aime plus le foot. On abandonne, on grandit, on
passe à autre chose. Un peu comme on arrête de fumer. Ou de trouver Adam
Sandler drôle. Le foot et moi, ça fait quelques années qu’on a divorcé.
Je ne supportais plus ces joueurs outrageusement riches et bêtes. Les
propriétaires d’équipe qui finissent tous par s’avérer magouilleurs
russes, princes arabes ou évadés fiscaux asiatiques. Les entraîneurs,
escrocs sans grâce qui croient à leur escroquerie - qu’ils ont la
moindre influence sur ce qui se passe sur le terrain. Le foot est devenu
un cauchemar thatchérien et je ne supportais plus l’argent, la
misogynie, le tribalisme. Surtout l’argent.
Ce fut une longue union. J’avais 6 ans (en 1970). Mais le rêve ardent
d’un noble héroïsme était devenu un porno gonzo. Les sorciers, les
alchimistes du prolétariat de mes jeunes années avaient disparu et un
type comme Ronaldo était le héros d’une moitié de la planète. Moins un
être humain qu’un ego en short. Le foot a le cœur sec et l’esprit dans
le portefeuille. C’est une histoire d’hommes mauvais. La corruption de
la Fifa, l’horreur de l’UEFA. Apocalypse Now sur gazon. Une
industrie de la tonte du supporteur poussée à son plus féroce appétit.
Je me suis senti souillé, je me suis senti trahi. Toute une vie de
dévotion gaspillée sur un objet profane. Mon amour pour le foot m’avait
laissé recroquevillé sous les néons d’une clinique pour MST, mon gobelet
d’analyses à la main. Défait, contaminé, secoué de sanglots de regrets.
Et puis, cette année, il est arrivé deux trucs remarquables :
Leicester City, l’équipe la plus constamment démodée, a remporté le
championnat anglais (sans doute le plus rude au monde). Et l’Irlande
du Nord (pays de ma naissance) s’est qualifiée pour l’Euro. Le foot, ce
rêve brisé, sali, couvert de boue par un million de commerciaux, brille à
nouveau d’une petite lueur d’âme. La victoire de Leicester fut un
triomphe inattendu, digne des plus beaux jours du foot. Quand la
domination des clubs friqués était moins totalitaire et que les
malhabiles, les malchanceux et les misérables pouvaient tutoyer la
gloire, même brièvement, pour rallumer le ciel comme de glorieusement
vulgaires comètes.
Et la merveilleuse, l’inutile, la si peu aimable
Irlande du Nord va rencontrer sur le tournoi quelques-uns des meilleurs
au monde. L’Irlande du Nord, une équipe dont le meilleur joueur des
vingt dernières années a dû arrêter parce que la moitié des supporteurs
détestait qu’il soit catholique. L’Irlande du Nord, qui détient le
record mondial du nombre de matchs joués sans marquer un but. L’Irlande
du Nord, qui ne gagnera peut-être pas l’Euro mais qui est un sérieux
prétendant à la palme d’or du joueur le plus moche.
Les jours de gloire du capillaire décomplexé^^... |
Même si on peut trouver de sérieux challengers écossais... |
Vous les Français, vous ne connaissez rien au foot. Vous n’en avez
que pour votre Zidane et son parfait toucher de balle. Ou pour ce
Platini, dont le souvenir de l’élégance sur la pelouse éclipse presque
les horreurs de sa retraite (quand on y pense, on l’a surtout célébré
pour n’avoir pas été Diego Maradona). Savez-vous seulement combien vous
êtes énervants avec vos Cantona et vos Thierry Henry ? Vous pensez que
tout est affaire de compétence, de créativité, de beauté du jeu.
Conneries. Etre bon, c’est presque tricher. Le foot est une histoire de
dévotion pour des types qui peuvent à peine marcher droit sans
trébucher, alors taper dans un ballon…
Les fans de foot ont deux options. La fierté du succès ou la
mélancolie de l’échec. J’ai connu les deux. Comme vous. Difficile
d’échapper aux foules qui suivent le Barça ou Manchester United. A
Buenos Aires, je me suis tenu parmi 40 000 supporteurs de Boca Juniors
braillant à pleins poumons pendant cent minutes, sans interruption. La
meilleure migraine de ma vie. Les plus ultras que j’ai jamais vus. Et
pourtant, les vrais supporteurs, ce ne sont pas eux. Les vrais
supporteurs sont ceux de Plymouth Argyle. Plymouth Argyle est une équipe
anglaise dont vous n’avez jamais entendu parler (pas non plus la peine
d’essayer de prononcer son nom). C’est un club qui a vigoureusement
échoué tout au long de son histoire en deuxième et en troisième
divisions. Ils n’ont rien gagné d’important. Cent treize années de
contre-performances et de revers prévisibles. Et pourtant.
La fréquentation hebdomadaire moyenne flirte avec les 10 000 fans. Tous
les quinze jours, près de 10 000 personnes paient leur place pour se
faire décevoir, sous la pluie. Ça, c’est un supporteur.
Blood & Donor... A skinhead failure... |
Et j’avance que l’Irlande du Nord offre le même genre de deal.
Bonjour tristesse et mélancolie véritables. Nous sommes incroyablement
mauvais en foot. Bon dieu, comment pouvons-nous avoir une équipe digne
de ce nom quand nous avons à peine un pays (ça fait des années que je
cherche en vain une ambassade d’Irlande du Nord à Paris). Nous sommes
une simple province dans un tournoi international. Nos joueurs ne jouent
pas pour le PSG, ni la Juve, ni Chelsea. Mais à Watford Town, Ross
County ou Milton Keynes Dons. C’est pas que leurs noms ne vous disent
rien, vous n’avez jamais entendu parler de ces clubs. Pas facile pour
nous. Avec notre population de 1,8 million d’habitants qui se
nourrissent de pluie et de pommes de terre. Nous sommes, pour la
plupart, gros. Et quand nous ne sommes pas gros, nous sommes petits.
Nous avons la seule équipe nationale dont les supporteurs viennent au
stade avec leurs crampons. Au cas où ils seraient choisis (ils ont une
sérieuse chance). Si vous pouvez vous lever d’une chaise sans faire de
bruit, vous êtes définitivement dans le viseur du sélectionneur.
Pourtant, malgré notre historique record d’échecs et d’insuffisance,
nous avons connu nos heures de gloire. L’un des nôtres, George Best, fut
le cinquième Beatle - le joueur de United qui leur offrit leur premier
trophée européen en 1968 (et fut élu footballeur européen de l’année).
Son élégance et son brio se sont fracassés contre son alcoolisme et son
addiction au jeu quand il a eu 28 ans. Typique. Notre seul vrai héros a
tout foutu en l’air.
Par le passé, nous nous sommes qualifiés pour la
Coupe du monde (plusieurs fois). Nous avons battu l’Espagne, les
Pays-Bas et l’Angleterre. Il y a même eu cette inexplicable décennie où
nous sommes devenus la bête noire de l’Allemagne. Quoiqu’il arrive, on
gagnait ou on faisait match nul - au plus grand (et plus délicieux)
désarroi des Allemands, ces pénibles dentistes du foot aux mains
cliniquement propres et aux insupportables taches de rousseur.
"J'ai dépensé presque tout mon argent en alcools forts, jolies filles et voitures de sport. Le reste, je l'ai gaspillé." George Best 1946-2005 |
La mèche, un archétype capillaire germanique ?^^ |
L’équipe actuelle ? Notre habituelle collection de tocards et de
pouilleux - même s’ils sont sortis vainqueurs de leur groupe (la Grèce a
fait bon dernier, quand on pense que ces cons ont inventé la démocratie
!). C’est comme faire l’appel dans les plus basses divisions anglaises
et écossaises. Conor McLaughlin joue pour Fleetwood Town (même moi je
n’ai jamais entendu parler de Fleetwood Town). Kyle Lafferty est notre
Zlatan, avec 9 buts pendant les qualifs - à sa plus grande surprise
autant qu’à la nôtre. C’est l’homme le plus grand d’Irlande du Nord, il a
des dents en bois et vient au match avec son cochon.
Alors, si vous détestez le foot et que vous n’en avez rien à foutre
de l’Euro, je comprends. Si vous avez du mal à vous identifier à une
bande de onze sociopathes de droite qui gagnent des millions, je suis
avec vous. Si la posture, la bêtise et le tribalisme vous donnent la
nausée, c’est pas grave non plus.
"Et Un et Deux et Trois Grammes deux !!!" |
J’ai la solution. Choisissez une équipe de merde et soutenez-la.
Défoncez-vous pour la Roumanie ou le Pays de Galles. Donnez tout ce que
vous avez à la Suisse ou l’Albanie (toutes deux en lice pour le prix de
la pire coupe de cheveux). Savourez l’échec et la probable déception.
Accueillez l’absence totale de glamour, de sport, de technique. Prenez
la dépressive départementale qui mène à l’obscurité. Encouragez les
vrais sans-espoirs. N’oubliez pas, la vie est nulle et à la fin on
meurt. Seul. Entraînez-vous pour l’horreur et l’abnégation de votre
courte vie avec un zest de détresse footballistique. Dans cette
catégorie, l’Irlande du Nord est votre meilleur choix."
Robert McLiam Wilson
Comme ils disaient chez Charlie (pour un autre registre), c'est dur d'être aimer par des cons !
RépondreSupprimerComme pour la plus-part des autres grand sport populaire, ou bien même nos chanteurs ou auteur dont ont aime l'art, parfois vaut mieux pas trop s'intéresser a ce qui ce trame de l'autre côter du miroir, sa serait a sans dégoûter d'aimer l'oeuvre. Chro.