vendredi 13 janvier 2023

Le cercle des viandards disparus

Depuis que d'obscurs Levantins inventèrent l'écriture (et son corollaire immédiat, la bureaucratie), force est de constater que chaque époque nous a laissé son empreinte sous la forme de sources plus ou moins bien transmises et/ou interprétées à travers les siècles. Du moine copiste médiéval se sentant obligé de rajouter sa touche personnelle ("Tiens, ça manque de dragons et d'invasion de sauterelles, ce chapitre...") en recopiant le moindre manuscrit jusqu'au moderne gratte-papier de la préfecture de police de Paris inscrivant au porte-plume pour la postérité le compte-rendu circonstancié de rafles de Juifs étrangers, prouvant s'il en était besoin la compétence de l'institution ainsi que son application dans la mise en oeuvre de l'amitié franco-allemande, tout notre savoir actuel sur ces temps reculés dépend de ce qui nous en est parvenu. C'est là toute la noblesse du travaux d'historien : faire revivre une période sans pour autant la juger avec les yeux d'aujourd'hui. Sinon on se retrouverait dans l'obligation de déboulonner des statues, changer le nom des rues et... Heu attendez voir... Non, oubliez ce que je viens de dire. Vaut mieux.

 
Notre époque est tout à fait inédite, soit dit en passant, tant par sa médiocrité intellectuelle que son imposture permanente. Publicité, crédits à la consommation, bonheur consumériste en carton bouilli pendant que la planète brûle...Super...On ira tous au Monoprix à défaut du Paradis, bordel. Luc Ferry a remplacé dans la pensée droitière Raymond Aron, Hugo Clément sans strabisme ni réelle aptitude à la réflexion joue les Jean-Paul Sartre de district aussi efficacement que Mitroglou a effacé des mémoires des ultras marseillais l'insignifiant Jean-Pierre Papin, tandis que le petit Eric Zemmour s'est joyeusement substitué à Charles Maurras comme contempteur attitré de l'Anti-France, brouillant, il est vrai, un chouia le message initial du chantre sourdingue des félibriges, des cannes-gourdins et de l'antisémitisme de bonne famille. Notre environnement immédiat est virtuel : nous avons dix fois plus de contacts avec d'autres individus par les réseaux sociaux au quotidien que dans la vraie vie (même si pour ma part, hélas, il m'arrive au quotidien d'avoir à côtoyer des "vrais gens" et parmi eux, parfois, des anciens chasseurs alcooliques au teint cireux d'embaumé précoce poursuivant de leur vaine vindicte l'ensemble du genre humain dont, au premier chef, votre dévoué serviteur). En gros, nous pouvons dans cette agora virtuelle n'évoluer qu'entouré du cocon rassurant de gens partageant les mêmes goûts, pensées et perversions inavouables (je dis ça pour les gars qui ne peuvent s'empêcher d'acheter des leurres métalliques vintage évidemment).
 
 
Bien sûr, vous êtes en train de vous dire que vous me voyez venir. Que ça va bientôt baver sur la génération d'analphabètes épileptiques sévissant sur YouTube, les Pinpins à GoPro qui découvrent la pêche à chaque lancer en gloussant comme des pintades sous gaz hilarant comme le ferait sans aucun doute un vieux salopard dont l'aigreur est l'ultime carburant avant la salle d'autopsie. Bon, d'accord, j'avoue que l'idée m'a effleurée l'esprit mais je me suis repris à temps, histoire de ne pas passer TOTALEMENT pour un vieux crouton réactionnaire juste bon à faire piquer d'urgence chez le vétérinaire le plus proche. Ouf, on a eu chaud...
 


 
En fait, même si, en cacochyme sournois certifié, il m'est impossible de ne pas vouer les générations montantes, ces salauds de jeunes, aux gémonies (souvenir d'une époque lointaine adepte d'un amorçage un peu hard-core et surtout trop en avance sur son temps car il n'y avait pas encore de silures dans le Tibre, fichtre !!!), je n'avais pas pour objectif de répéter une énième fois en frôlant dangereusement le radotage que je les enverrais bien en Guyane casser des cailloux avec un sac plein de Bescherelle sur le dos, les petits foutriquets à leur mémère, tiens !!!
 


 
 
Un autre truc rigolo avec l'Histoire, c'est que parfois, à l'échelle d'une vie humaine, on change totalement de monde. Regardez, au hasard, Philippe Pétain (non, Eric, s'il te plaît, ne te frotte pas comme ça à la jambe du monsieur, c'est sale...). Né en 1856 sous le Second Empire, mort en 1951 sous la IVème République, ça claxe comme dirait un bivalve retenu dans une téléréalité produite par NRJ12. Le gars vient au monde dans un monde où la vapeur remplace petit à petit la traction animale et les énergies renouvelables (vent, eau...) et casse sa pipe en zonz alors que tout le monde veut sa bombinette atomique. Franchement, ce n'est pas un grand écart, ça ? Bon, nous autres, plus modestement, générations nées entre l'orée des sixties rutilantes et l'acmé pompidolienne des phtalates pour tous, entre la DS et la R16, entre Raymond Kopa et Michel Platini, avons eu l'opportunité de passer d'un monde où la matos de pêche était produit au niveau local à un marché mondial dans lequel acheter quelque bien manufacturé non produit en Asie est un signe extérieur de richesse.
 


 
 Car, nous, quand on était petits, la pêche, ce n'était pas un moyen comme un autre de quémander de la reconnaissance sociale dans un monde virtuel fait de "likes" et de "pouces en l'air, wesh". Non, non, pas de ça chez nous, malheureux !!! On en était encore à la bonne franquette, tout ce qui rentre fait ventre, il est bon pour la poêle, il tient dans l'assiette, c'est la bonne taille et tutti quanti. Pour en revenir à Hugo Clément, il aurait assisté aux concours de pêche que j'ai vu enfant, le pauvre biquet sans application "exfiltrez-moi vite de là, ils sont pauvres, laids et méchants !!!", il finissait en boule à pousser des cris de hamster asthmatique sous la camionnette Ricard louée par la mairie, j'aime autant vous le dire !!!
 


Ben oui, c'était pas mieux avant, faut pas croire. Le suranné, le sépia, le nostalgique, c'est pour les rêveurs. L'époque était au bon coup de gourdin derrière les ouies et le vol plané dans le coffre de la bagnole, voire la dissimulation craintive derrière la roue de secours sous un linceul sanglant en cas de taille légale discutable. Aujourd'hui on a changé de "paradigme" comme disent les blaireaux qui veulent donner l'impression de savoir de quoi ils causent. Autre temps, autres moeurs en français correct, quoi. La voirie part en couilles à l'échelle nationale, la Sarthe ressemble à l'Andalousie dès le milieu du printemps et les collèges sont devenus tellement dangereux qu'on réfléchit à recruter des Tontons Macoutes comme surveillants d'externat mais sur votre smartphone, votre tablette, votre télé, on vous explique que tout va bien se passer, que les Chinois vont se remettre au vélo, les Hindous à la marche à pied et les Russe à la tisane Nuit calme. Ouais, je demande quand même à voir...




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