samedi 17 décembre 2022

Les mulets sont nos amis, souvenirs d'une sortie mythique

Parfois, la Providence nous fait cadeau d'une journée de pêche idyllique, sans fausse note, durant laquelle nous trouvons illico le pattern qui le fait bien et empilons les poissons avec une régularité tenant de la diablerie pour les pêcheurs locaux incapables de tels exploits. Ce fut le cas en ce jeudi férié d'un lointain mois de mai, enfin pas si lointain que ça mais tout de même pas loin de dix ans, comme le temps passe, on est bien peu de choses et tenez, remettez moi un kilo de pifises, m'âme Michu. On le discerne facilement rien qu'à reluquer la trogne des deux taquineurs de perchettes du dessous en train d'ostensiblement brandir au mufle cramoisi par la finasse des viandards indigènes un doublé de mulets pris aux leurres en finesse. Car, oui, effectivement, l'objet de cette sortie était bel et bien le mulet.

Oui, le mulet, ce goinfre lippu passant son temps à brouter les coques des bateaux amarrés dans les ports, s'amassant à la sortie des égoûts et constituant un apport protéinique consistant aux silures ligériens lors des chaudes soirées estivales. Il faut bien savoir que le bon vieux viandard ligérien le pêche traditionnellement à la cuillère Spécial Mulet agrémentée d'un petit bout de gravette sur hameçon simple, le tout monté sur un 30/100° old-school et balancé à l'aide d'une tricasse d'au moins trois mètres sans s'éloigner plus que nécessaire du parasol abritant la glacière contenant en abondance l'apéritif anisé indispensable à l'homme de goût en période caniculaire.

Sauf que nous autres, jeunes keuplous alors à peine égratignés hépatiquement parlant par quelques longues années d'addiction au Côtes-du-Rhône, manifestions une sainte horreur de cette tradition lourdaude. Nous traquions notre mulet de Loire à l'aide de leurres souples de petite taille en finassant sur le bas de ligne et en utilisant des cannes à pêche d'une légèreté confondante. Swing Impact 2", Arawuna Pontoon 21 en 1,7", Grass Minnow SS et autres mignardises pour perche-soleil difficile étaient nos armes de prédilection. Certains soirs de nouba même, c'était au poisson-nageur qu'un certain pinseur des bords de Sèvre torgnolait du muloche en sortie d'écluse mais bon, hein, tout ça, c'est de l'histoire ancienne, d'autant que je n'ai plus de photos datant de cette ère mirifique quoique révolue.
 
 
Bref, ce jeudi là, grâce aussi, il faut le dire, à un choix du spot fort judicieux (oui, je pratique l'auto-satisfaction depuis que j'ai arrêté la zumba), nous nous livrâmes à un véritable festival appelé à renforcer la détestation congénitale dont faisaient déjà montre les pêcheurs de cette bourgade sans âme envers les sémillants streetfisheux que nous étions encore. Ou presque. Jugez plutôt : près d'une centaine de mulets furent pris à nous trois en une après-midi et ce sous les yeux ébahis des promeneurs du cru. On comprend sans difficulté que les ploucs autochtones engoncés dans leurs bottes, sinistrés de la Suissex et bredouilles depuis l'aube en aient conçu de la rancoeur et votent RN depuis.
 

Il faut dire que le mulet, y compris les spécimens pas énormes, sur du 16/100°, ça dépote grave, le frein siffle et ça ne saute pas dans l'épuisette. Alors quand on prend pas un ou deux mais plus d'une trentaine chacun, c'est la fête. Je ne compte même pas les jolies perches venues se perdre au milieu du banc mais nous en prîmes quelques unes, arrivées à la curée sur les millions d'alevins de l'année coincés par la crue à l'endroit exact où notre trio de spécialistes cartonnait sans vergogne.


Cette sortie est évidemment restée gravée dans nos mémoires. On ne sort pas amnésique d'une telle réussite surtout quand on se souvient des débuts de saison laborieux voire catastrophiques qui sont tellement récurrents dans nos contrées où l'agriculture productiviste reste plus intouchable qu'Arlette Chabot roulée dans du caca d'ours. Oui, je sais, l'image est dégradante mais c'était pour votre bien.

Depuis lors, nous avons bien des fois pêché le mulet mais sans retrouver la même ferveur ni une efficacité aussi impitoyable. Souvent nous n'en avons pris qu'un ou deux exemplaires et par le plus complet des hasards parfois. Non, vraiment, cette journée était unique et l'est restée. Nous étions au bon endroit, avec le bon équipement, les bons leurres, le bon jour, toutes les planètes étaient alignés pour que nous nous éclations comme rarement.

Oui, me direz-vous, la nostalgie ne mène jamais bien loin et vous aurez raison. Cela dit, quand on a passé la moitié de son samedi à vaquer dehors par une température ressentie de plusieurs degrés en dessous de zéro, vous pouvez me croire, cela réchauffe de se remémorer ces heures de gloires.

Allez, qui sait, peut-être qu'en 2023, on remettra ça ?



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