samedi 11 juin 2016

Born Again Footix^^

"Parfois, aimer le foot est une sacrée paire de manches. A tel point qu’il arrive qu’on n’aime plus le foot. On abandonne, on grandit, on passe à autre chose. Un peu comme on arrête de fumer. Ou de trouver Adam Sandler drôle. Le foot et moi, ça fait quelques années qu’on a divorcé. Je ne supportais plus ces joueurs outrageusement riches et bêtes. Les propriétaires d’équipe qui finissent tous par s’avérer magouilleurs russes, princes arabes ou évadés fiscaux asiatiques. Les entraîneurs, escrocs sans grâce qui croient à leur escroquerie - qu’ils ont la moindre influence sur ce qui se passe sur le terrain. Le foot est devenu un cauchemar thatchérien et je ne supportais plus l’argent, la misogynie, le tribalisme. Surtout l’argent.
Ce fut une longue union. J’avais 6 ans (en 1970). Mais le rêve ardent d’un noble héroïsme était devenu un porno gonzo. Les sorciers, les alchimistes du prolétariat de mes jeunes années avaient disparu et un type comme Ronaldo était le héros d’une moitié de la planète. Moins un être humain qu’un ego en short. Le foot a le cœur sec et l’esprit dans le portefeuille. C’est une histoire d’hommes mauvais. La corruption de la Fifa, l’horreur de l’UEFA. Apocalypse Now sur gazon. Une industrie de la tonte du supporteur poussée à son plus féroce appétit. Je me suis senti souillé, je me suis senti trahi. Toute une vie de dévotion gaspillée sur un objet profane. Mon amour pour le foot m’avait laissé recroquevillé sous les néons d’une clinique pour MST, mon gobelet d’analyses à la main. Défait, contaminé, secoué de sanglots de regrets.
Et puis, cette année, il est arrivé deux trucs remarquables : Leicester City, l’équipe la plus constamment démodée, a remporté le championnat anglais (sans doute le plus rude au monde). Et l’Irlande du Nord (pays de ma naissance) s’est qualifiée pour l’Euro. Le foot, ce rêve brisé, sali, couvert de boue par un million de commerciaux, brille à nouveau d’une petite lueur d’âme. La victoire de Leicester fut un triomphe inattendu, digne des plus beaux jours du foot. Quand la domination des clubs friqués était moins totalitaire et que les malhabiles, les malchanceux et les misérables pouvaient tutoyer la gloire, même brièvement, pour rallumer le ciel comme de glorieusement vulgaires comètes. 
Les jours de gloire du capillaire décomplexé^^...
Et la merveilleuse, l’inutile, la si peu aimable Irlande du Nord va rencontrer sur le tournoi quelques-uns des meilleurs au monde. L’Irlande du Nord, une équipe dont le meilleur joueur des vingt dernières années a dû arrêter parce que la moitié des supporteurs détestait qu’il soit catholique. L’Irlande du Nord, qui détient le record mondial du nombre de matchs joués sans marquer un but. L’Irlande du Nord, qui ne gagnera peut-être pas l’Euro mais qui est un sérieux prétendant à la palme d’or du joueur le plus moche.
Même si on peut trouver de sérieux challengers écossais...
Vous les Français, vous ne connaissez rien au foot. Vous n’en avez que pour votre Zidane et son parfait toucher de balle. Ou pour ce Platini, dont le souvenir de l’élégance sur la pelouse éclipse presque les horreurs de sa retraite (quand on y pense, on l’a surtout célébré pour n’avoir pas été Diego Maradona). Savez-vous seulement combien vous êtes énervants avec vos Cantona et vos Thierry Henry ? Vous pensez que tout est affaire de compétence, de créativité, de beauté du jeu. Conneries. Etre bon, c’est presque tricher. Le foot est une histoire de dévotion pour des types qui peuvent à peine marcher droit sans trébucher, alors taper dans un ballon…
Blood & Donor... A skinhead failure...
Les fans de foot ont deux options. La fierté du succès ou la mélancolie de l’échec. J’ai connu les deux. Comme vous. Difficile d’échapper aux foules qui suivent le Barça ou Manchester United. A Buenos Aires, je me suis tenu parmi 40 000 supporteurs de Boca Juniors braillant à pleins poumons pendant cent minutes, sans interruption. La meilleure migraine de ma vie. Les plus ultras que j’ai jamais vus. Et pourtant, les vrais supporteurs, ce ne sont pas eux. Les vrais supporteurs sont ceux de Plymouth Argyle. Plymouth Argyle est une équipe anglaise dont vous n’avez jamais entendu parler (pas non plus la peine d’essayer de prononcer son nom). C’est un club qui a vigoureusement échoué tout au long de son histoire en deuxième et en troisième divisions. Ils n’ont rien gagné d’important. Cent treize années de contre-performances et de revers prévisibles. Et pourtant. La fréquentation hebdomadaire moyenne flirte avec les 10 000 fans. Tous les quinze jours, près de 10 000 personnes paient leur place pour se faire décevoir, sous la pluie. Ça, c’est un supporteur.

Blood & Liquor... A skinhead leisure.
Et j’avance que l’Irlande du Nord offre le même genre de deal. Bonjour tristesse et mélancolie véritables. Nous sommes incroyablement mauvais en foot. Bon dieu, comment pouvons-nous avoir une équipe digne de ce nom quand nous avons à peine un pays (ça fait des années que je cherche en vain une ambassade d’Irlande du Nord à Paris). Nous sommes une simple province dans un tournoi international. Nos joueurs ne jouent pas pour le PSG, ni la Juve, ni Chelsea. Mais à Watford Town, Ross County ou Milton Keynes Dons. C’est pas que leurs noms ne vous disent rien, vous n’avez jamais entendu parler de ces clubs. Pas facile pour nous. Avec notre population de 1,8 million d’habitants qui se nourrissent de pluie et de pommes de terre. Nous sommes, pour la plupart, gros. Et quand nous ne sommes pas gros, nous sommes petits. Nous avons la seule équipe nationale dont les supporteurs viennent au stade avec leurs crampons. Au cas où ils seraient choisis (ils ont une sérieuse chance). Si vous pouvez vous lever d’une chaise sans faire de bruit, vous êtes définitivement dans le viseur du sélectionneur.
Pourtant, malgré notre historique record d’échecs et d’insuffisance, nous avons connu nos heures de gloire. L’un des nôtres, George Best, fut le cinquième Beatle - le joueur de United qui leur offrit leur premier trophée européen en 1968 (et fut élu footballeur européen de l’année). Son élégance et son brio se sont fracassés contre son alcoolisme et son addiction au jeu quand il a eu 28 ans. Typique. Notre seul vrai héros a tout foutu en l’air. 
"J'ai dépensé presque tout mon argent en alcools forts, jolies filles et voitures de sport. Le reste, je l'ai gaspillé."
                                                                                                                                             George Best 1946-2005


Par le passé, nous nous sommes qualifiés pour la Coupe du monde (plusieurs fois). Nous avons battu l’Espagne, les Pays-Bas et l’Angleterre. Il y a même eu cette inexplicable décennie où nous sommes devenus la bête noire de l’Allemagne. Quoiqu’il arrive, on gagnait ou on faisait match nul - au plus grand (et plus délicieux) désarroi des Allemands, ces pénibles dentistes du foot aux mains cliniquement propres et aux insupportables taches de rousseur.
La mèche, un archétype capillaire germanique ?^^
L’équipe actuelle ? Notre habituelle collection de tocards et de pouilleux - même s’ils sont sortis vainqueurs de leur groupe (la Grèce a fait bon dernier, quand on pense que ces cons ont inventé la démocratie !). C’est comme faire l’appel dans les plus basses divisions anglaises et écossaises. Conor McLaughlin joue pour Fleetwood Town (même moi je n’ai jamais entendu parler de Fleetwood Town). Kyle Lafferty est notre Zlatan, avec 9 buts pendant les qualifs - à sa plus grande surprise autant qu’à la nôtre. C’est l’homme le plus grand d’Irlande du Nord, il a des dents en bois et vient au match avec son cochon.
"Malgré son aspect terrifiant, Jimmy Pieds-Carrés est relativement inoffensif."


Alors, si vous détestez le foot et que vous n’en avez rien à foutre de l’Euro, je comprends. Si vous avez du mal à vous identifier à une bande de onze sociopathes de droite qui gagnent des millions, je suis avec vous. Si la posture, la bêtise et le tribalisme vous donnent la nausée, c’est pas grave non plus.
"Et Un et Deux et Trois Grammes deux !!!"

J’ai la solution. Choisissez une équipe de merde et soutenez-la. Défoncez-vous pour la Roumanie ou le Pays de Galles. Donnez tout ce que vous avez à la Suisse ou l’Albanie (toutes deux en lice pour le prix de la pire coupe de cheveux). Savourez l’échec et la probable déception. Accueillez l’absence totale de glamour, de sport, de technique. Prenez la dépressive départementale qui mène à l’obscurité. Encouragez les vrais sans-espoirs. N’oubliez pas, la vie est nulle et à la fin on meurt. Seul. Entraînez-vous pour l’horreur et l’abnégation de votre courte vie avec un zest de détresse footballistique. Dans cette catégorie, l’Irlande du Nord est votre meilleur choix."

Robert McLiam Wilson

1 commentaire:

  1. Comme ils disaient chez Charlie (pour un autre registre), c'est dur d'être aimer par des cons !
    Comme pour la plus-part des autres grand sport populaire, ou bien même nos chanteurs ou auteur dont ont aime l'art, parfois vaut mieux pas trop s'intéresser a ce qui ce trame de l'autre côter du miroir, sa serait a sans dégoûter d'aimer l'oeuvre. Chro.

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